28 septembre 2006

Flashback 2005 : De battre mon coeur s'est arrêté

La rubrique "Flashback" a pour vocation de proposer un film par année, en commençant par 2006 et en remontant petit à petit jusqu'en...1895, année de naissance du cinéma. Ce ne sont pas forcément les plus grands films ni ceux que je préfère (ceux-là sont présentés évidemment dans la rubrique "Films" ) mais ils témoignent d'un moment du cinéma, parfois en phase avec l'actualité et parfois pas et méritent toujours d'être vus ou revus. Entre histoire, art et sociologie, Flashback remonte le temps.

Flashback 2005


"De battre mon coeur s'est arrêté", de Jacques Audiard

















A 28 ans, Tom semble marcher sur les traces de son père qui vit dans l'univers violent de l'immobilier véreux. Mais une rencontre fortuite le pousse à croire qu'il pourrait être le pianiste concertiste de talent qu'il rêvait de devenir, à l'image de sa mère. Sans cesser ses activités, il tente de préparer une audition.
C'est l'histoire d'une réminiscence salvatrice, d'une rédemption.

A savoir : ce film est un remake de "mélodie pour un tueur" de James Toback.

Anecdote : 8 césars lui ont été decernés (meilleur film, meilleur réalisateur, meillleure musique, meilleur acteur dans un second rôle pour Niels Arestrup, meilleur espoir féminin pour Linh-Da Pham, meilleure adaptation, meilleur montage, meilleure photographie).
Assez étrangement, Romain Duris, qui porte littéralement le film, qui est de chaque plan, chaque scène n'a rien reçu...

"De battre mon coeur s'est arrêté" est le quatrième film de Jacques Audiard, après "Regarde les hommes tomber", "Un héros très discret" et "Sur mes lèvres".

Et le deuxième en collaboration avec Tonino Benacquista, dont je vous recommande tous les livres (faites-moi plaisir, lisez "Quelqu'un d'autre").


Entretien avec Jacques Audiard :

Comment vous est venue l'idée d'un remake de Fingers de James Toback ?
C'est Pascal Caucheteux, alors qu'il venait de finir de produire le remake d'ASSAULT de Carpenter, réalisé par Jean-François Richet, qui m'a demandé si la réalisation d'un remake pourrait m'intéresser, et si oui, lequel ? La réponse m'a semblé évidente : c'était FINGERS de James Toback. Pourquoi ? Bien sûr parce que le film m'avait marqué lorsque je l'avais vu à sa sortie. Mais sans doute aussi parce que c'était un film qu'on avait du mal à revoir, qui repassait peu et qui, à force, avait créé autour de lui un
mystère supplémentaire. FINGERS, pour le situer rapidement, c'est un peu la queue de la comète du cinéma indépendant américain des années 70. Le héros,Tom ou Johnny, je ne me souviens plus, c'est Harvey Keitel. Keitel au sortir de MEAN STREETS, donc de chez Scorsese, et autour pas mal des acteurs viennent de la constellation Coppola. Bref, c'est un film très fréquenté ! Quand j'ai revu le film avec Tonino, je me suis demandé si je ne lui avais pas survendu ! Il y avait des trous énormes dans l'histoire, des hauts formidables mais aussi des bas redoutables. Et puis, beaucoup de poses cinématographiques très datées.

Pourquoi un tel attachement à Fingers ?
Pour tous ses thèmes apparents et sous terrains : le père, la mère, la filiation, la réforme d'une vie, le coût des actes, le passage à l'âge adulte etc.

Pourquoi avoir choisi l'immobilier comme "Lieu du crime”?
Dans FINGERS, le milieu est celui de la mafia italo-newyorkaise. Il fallait donc oublier. En réfléchissant avec Tonino on s'est assez vite fixé sur le milieu de l'immobilier (nous l'avions déjà, d'une certaine façon, exploité dans SUR MES LÈVRES) et plus précisément celui des petits marchands de biens dont les agissements sont parfois parfaitement immoraux et à la limite de la légalité. De plus, il y a, je trouve, un rapport analogique entre le voyou qui accapare des vies, et le marchand de bien qui accapare du terrain, de la terre avec des gens dessus. Dans les deux cas ils accaparent de l'inaliénable.

La scène des rats souligne le sordide de leurs pratiques...
Oui, ce sont eux les rats. Et comme les rats, ils finiront par se bouffer entre eux. La scène ne dit rien d'autre.

A quels films avez-vous pensé ?
Je n'ai pas le sentiment que l'on ait remué énormément de références. FINGERS était suffisante ! Mais avec Tonino, on a revu les films de James Foley, notamment GLENGARRY GLEN ROSS. Milieu de l'immobilier, viril, sans concession, suintant. Un huis clos intéressant, à la fois très libre et très formel.

Pourquoi avori choisi d'inscrire De battre mon coeur s'est arrêté dans le réalisme ?
D'abord parce que le cinéma est réaliste, et qu'ensuite si l'on doit raconter une histoire dont la proposition est invraisemblable (“Peut-on être marchand de biens et pianiste concertiste ?”) il vaut mieux que cette histoire s'inscrive dans le cadre le plus réaliste possible, c'est-à dire le moins contestable par le spectateur. Sinon, personne ne croira à rien ni aux personnages, ni à ce qui leur arrive, ni aux situations... à rien. Et puis, c'est une façon aussi de retrouver la morale. Parce que l'on est dans quelque chose de réaliste, j'ai des repères, je sais ce qui est bien, ce qui est mal. Je vois comme c'est difficile pour le héros de passer du mal au bien, que ce n'est pas une partie de plaisir, que ça coûte. Je m'étais dit qu'au tournage j'allais prendre les choses comme elles viendraient. Dans leurs décors, dans leur éclairage. Je m'étais même décidé à ne pas me poser la question des raccords lumière... à tourner “en l'état”.

Pourquoi avoir tourné De battre mon coeur s'est arrêté en plans séquences ?
Dans le film de Toback, le personnage d'Harvey Keitel est ultracamé, à la limite du pathologique. Je n'avais pas envie de ça , c'était trop simple. Trop explicatif. En revanche, j'avais envie d'un film qui aille vite, pas trop apprêté, pas “formel” (même si
je ne sais pas trop ce que cela veut dire), un film “modeste” (idem). Je voulais que ça aille vite et en même temps que l'on soit suffisamment sur le personnage pour saisir l'émotion, la sensation. J'étais dans ce paradoxe de vouloir à la fois être dans l'émotion et le rythme de Tom, tout en étant économe dans le découpage. Le plan séquence permet des axes de déplacements réels, de garder le mouvement du jeu, de montrer la respiration du personnage. Les acteurs gagnent en liberté. Si le film est trop découpé, ils se retrouvent bloqués dans des coins de décors et ne peuvent plus jouer.

Pourquoi le monde extérieur est-il souvent dans le hors champ ?
Dans les films que je fais, les personnages doivent être des héros. Le problème, c'est comment vont-ils le devenir ? Comment vont-ils cesser de l'être ? Qu'est-ce qui va les contrarier ? Ma façon d'y répondre, c'est, formellement, que le monde soit mis à l'écart, que mon héros le traverse comme une force en marche.
J'ai eu très tôt la certitude que la vitesse de DE BATTRE MON COEUR S'EST ARRÊTÉ allait reposer sur le ou les comédiens. Qu'ils seraient cadrés assez serrés et que l'extérieur serait un hors champ qui existerait, par le son, et par les récits des événements. Comme au théâtre, en somme.

Comment avez-vous pensé à Romain Duris pour le rôle de Tom ?
J'avais envie d'un acteur qui soit à un moment charnière, autant dans sa vie d'homme que dans sa vie professionnelle. Et que cela fasse partie intégrante du sujet du film. Par ailleurs, j'avais besoin d'une figure assez juvénile, crédible dans le rôle du marchand de biens comme dans celui d'un “music-addict”. Je vois Romain bouger dans le paysage depuis une dizaine d'années, depuis LE PÉRIL JEUNE où il n'avait que vingt ans. Je l'ai vu évoluer, changer, s'affirmer... En choisissant un acteur, il y a évidemment le désir de le filmer... Je ne pourrais pas filmer n'importe quel acteur. Romain crée un appétit. On a envie de tourner autour de lui, de le voir bouger.

Pourquoi Tom renonce-t-il à venger son père ?
Parce que la vengeance est dérisoire... Plutôt que de montrer l'épreuve de tuer quelqu'un en lui mettant une arme dans la bouche, je voulais montrer celle de ne pas tuer. Au cinéma c'est facile de tuer, mais dans la vie, pour quelqu'un de normalement constitué, j'imagine que c'est une épreuve. A vrai dire, non, je n'imagine pas, je veux que ce soit une épreuve. Sinon c'est le règne animal. Tom devait sortir du film plus grand qu'il n'y était rentré, il me semble alors que tuer lui était impossible. Dans le film de Toback, on est chez les fous furieux, c'est autre chose.

Le personnage du père de Tom joué par Niels Arestrup ?
C'est un personnage ogresque. Un ogre, s'il est bien conçu, doit avoir une voix douce, féminine, au-delà de son physique très mâle et très autoritaire... Poucet doit entendre la douce voix de la mère dans l'ogre pour que son échine se froisse... Niels Arestrup a une voix comme cela. Très timbrée, féminine, susurrée... Mais les micros saturent, c'est la voix du Diable... Avec ce personnage de père je voulais aborder un moment particulier des relations père/fils, ce moment où les pères deviennent les fils de leurs fils, et par voie de conséquence, celui où les fils découvrent qu'ils sont mortels.

Est-ce vraiment une chance poru Tom de rencontrer Monsieur Fox ?
Cette rencontre avec Fox l'oblige à prendre conscience des rapports qu'il a avec son père. Tom veut réussir son audition. Mais pour se faire, il doit abandonner son père et retourner symboliquement (parce que le piano c'était elle) du côté de la mère. Fox crée à la fois une échéance et une nécessité. Sans cette rencontre, Tom aurait probablement continué de s'occuper de son père. Là, il prend conscience de leurs rapports et de leurs limites. On peut voir aussi Monsieur Fox comme la version sublimée du père. Le père rêvé, juste, attentif, solide. Le père caché. Le père-mère.

Pourquoi l'épilogue deux ans plus tard ?
Le temps que le talent de Miao-Lin soit révélé au public grâce à Tom. Le temps de ce qui semble être une liaison qui dure. Le temps peut-être pour Tom de se dire que Miao-Lin est l'amour de sa vie, une femme qu'il aime et admire.

Pourquoi Chris et Aline disparaissent-elles du film ?
Le film raconte l'histoire d'un type qui grandit. Il grandit parce qu'il trouve, grâce à la musique, que sa vie de magouilleur est nulle et chemin faisant, il se rapproche naturellement des femmes. Il peut maintenant leur parler, avouer à Aline qu'il l'aime. Mais son projet, ce qui le pousse en avant, reste quand même la musique. Et c'est en fait avec Miao-Lin que les choses se concrétiseront vraiment, normal puisque c'est une femme et qu'elle est musicienne.

Comment Alexandre Desplat a-t-il travaillé la musique de votre film déjà imprégné de musique de part en part ?
Du fait que Tom écoutait beaucoup de musique et en jouait, la question posée à Alexandre était assez spécifique : composer une musique qui puisse se glisser entre la musique de source et Jean-Sébastien Bach. Alexandre a essentiellement travaillé le personnage de Tom, afin d'accompagner ses états d'âme. La musique qu'il a composée ne souligne jamais l'action, ne crée ni tension, ni suspens. C'est une musique qui suit Tom. Je ne sais pas si le terme “musique psychologique” existe, mais ce serait presque cela.

Pourquoi avoir conservé La Toccata en Mi Mineur de Bach que Harvey Keitel jouait dans Fingers ?
Le Bach des Toccatas - contrairement à celui des Passions ou des Messes - se pose comme théoricien du clavier. Les Toccatas sont des pièces parfois austères, ardues, et souvent virtuoses. C'est une musique géométrique, sans effusion, sans romantisme. Si Tom avait dû jouer du Schubert par exemple, il aurait dû interpréter, y mettre du pathos, de l'expression. Du coeur. Or ce sont justement là les problèmes de Tom : peut-il s'exprimer et a-t-il un coeur ? Seuls des pièces comme les Toccatas sont pour lui envisageables parce qu'il s'agit de jouer les bonnes notes à la bonne vitesse et dans le bon ordre.

(extrait du dossier de presse du film)


Entretien avec Tonino Benacquista, écrivain et scénariste de "De battre mon coeur s'est arrêté"

Tonino Benacquista a publié son premier ouvrage en 1985 : “Épinglé comme une pin-up dans un placard de G.I.”, suivi quatre ans plus tard par “La Maldonne des sleepings”. En 1991, c'est la consécration avec “La Comédia des râtés” (Prix Mystère de la Critique, Grand Prix de la Littérature Policière et Trophée 813). Il est également l'auteur de “Les Morsures de l’aube”, “Trois carrés rouges sur fond noir”, “Saga” (Grand Prix des Lectrices de ELLE), “Quelqu’un d’autre” (Grand Prix RTL-Lire) et récemment “Malavita”.
Pour le cinéma, après "Sur mes lèvres" (César 2002 du Meilleur Scénario), c'est la deuxième collaboration de Tonino Benacquista avec Jacques Audiard.

FINGERS
Je n'avais pas vu FINGERS quand Jacques m'a proposé de travailler sur l'adaptation. Tous les cinéphiles purs et durs en avaient un souvenir marquant et assez émerveillé. Ils se souvenaient d'Harvey Keitel pris entre le piano et la mafia, certains même inventaient des scènes qui n'existaient pas dans le film... Quand je l'ai vu, je n'ai pas été séduit, trop décousu, trop “underground qui se cherche”. J'avais des réserves sur la narration, j'y voyais les pièges d'une transposition aujourd'hui et en France. Partant de l'enthousiasme de Jacques et de mes réserves, nous nous sommes dit qu'en travaillant, nous allions trouver un objet commun.

FILM NOIR
Ce n'est pas un film noir, même s'il y a de la violence, des revolvers, de la mafia, etc. Jacques et moi sommes empreints de série noire, mais ici cette imagerie ne nous intéressait pas. Il s'agit simplement de l'histoire d'un type qui passe à l'âge d'homme. DE BATTRE MON COEUR S'EST ARRÊTÉ ne s'inscrit dans aucun genre. D'ailleurs, avecJacques Audiard, on n'est jamais dans aucun genre en particulier.

ADAPTATION
Nous avons respecté la proposition de départ du film de Toback. Pour nous en éloigner radicalement... Entre autres, nous avons rajouté des personnages féminins et nous avons supprimé le personnage de la mère qui n'existe plus que dans le souvenir de son fils. Je crois que le personnage qui ressemble le plus au film original est celui du père, joué par Niels Arestrup.

MÉTAMORPHOSE
Nous voulions montrer l'épanouissement d'un individu qui, pour la première fois de sa vie, se pose des questions et arrive à se surpasser. A partir du moment où on lui propose de passer une audition, la métamorphose est lancée. Il change de rythme même s'il continue à exercer son métier dans l'immobilier. Tom a désormais deux univers. Il est très ancré dans l'un, mais il se donne la possibilité de basculer dans l'autre : sa carrière de concertiste. Dans son émancipation personnelle, dans sa volonté d'être meilleur qu'il n'est, je pense que tout le monde peut se reconnaître.

MIAO-LIN
Quand Monsieur Fox propose à Tom une audition, il ne sait pas où il en est de sa pratique du piano, il est nécessaire que l'on évalue ses capacités. Ce que l'on redoutait et qui n'aurait pas marché, c'était qu'il se confronte à quelqu'un de très érudit et dont c'est le métier. D'un point de vue scénaristique, il fallait faire l'économie de ces débats musicologiques encombrants... D'où cette jeune femme asiatique, pianiste brillante, qui a besoin de travailler. Quelque chose d'autre nous plaisait en elle, d'ordre amoureux. Grâce à sa gestuelle, ses pauses, ses regards, on la sent indignée, déconcertée, inquiète, traversée par toute une gamme d'émotions.

LES FEMMES
L'une des manières de voir l'évolution de Tom, c'est l'acceptation des femmes dans son univers et sa manière de les regarder, de les écouter... Il franchit un cap. Entre autres, il s'autorise à vivre une histoire d'amour avec la femme d'un collègue et ami - de fait, il claque la porte au code d'honneur de ses copains voyous et machos. Là, il y a comme un point de non retour. Il s'excuse auprès de Chris, avec qui il avait été méprisant la première fois. Quant à cette petite nana croisée dans les vestiaires, il essaye de lui donner confiance en elle. Il lui murmure une formule magique qu'il aurait pu se dire à lui-même : “Deviens ce que tu as envie d'être”. Dans DE BATTRE MON COEUR S'EST ARRÊTÉ, comme dans tous les films où il y a un parcours initiatique, Tom va faire une révolution sur lui-même et trouver sa place. La sienne se situe auprès d'une femme qui se trouve être une pianiste brillante.

TOM ET SON PÈRE
Même si le rapport père/fils est violent, on ne peut pas douter qu'il y ait de l'affection entre les deux, surtout dans la façon que Jacques a de les filmer. Le père est autoritaire, il a la mainmise sur son fils qu'il prend pour son exécutant, mais en même temps, il l'appelle et lui demande de l'aide. Tom le protège. Comme il est dit dans la scène pré-générique, le rapport père/fils peut s'inverser. Le père commence à s'effacer, il devient fragile, il a besoin d'assistance. Là, ce n'est pas que l'histoire de Tom, c'est celle de tous.

MINSKOV
Les gens se souviennent de la bagarre finale de FINGERS, cette scène très crue. Pour Jacques et moi, Tom allait jusqu'au bout, il vengeait son père. Mais quand on a fini le scénario, on s'est aperçu qu'il ne pouvait plus tuer ! Quand il rencontre Minskov devant l'ascenseur, par hasard, la violence est en train de se réveiller : c'est le moment inespéré de régler le solde de tout compte. Mais si Tom tuait, tout s'effondrait. Cette histoire devenait dérisoire, avec une morale du genre : “Bon, ben, on ne se refait pas !”. C'était troublant de se rendre compte à la fin de l'écriture que le personnage principal de notre histoire avait tellement changé qu'il ne pouvait pas tuer.

VOS THÉMATIQUES
Il y a sans doute des rapprochements entre le scénario de DE BATTRE MON COEUR S'EST ARRÊTÉ et mes livres, mais je ne peux pas les faire moi-même, j'aurais du mal à les isoler. Il doit y avoir quelque chose sur l'idée d'impunité, ou sur la seconde chance que l'on s'offre à soi-même...

(extrait du dossier de presse du film)


Entretien avec Stéphane Fontaine, Chef opérateur sur "De battre mon coeur s'est arrêté"

ll a travaillé, entre autres films, sur Comme une image de Agnès Jaoui, Léo - En jouant dans la compagnie des hommes de Arnaud Desplechin, La Vie nouvelle de Philippe Grandrieux, Bronx Barbes d'Eliane de Latour.

FINGERS
Ce qui m'intéressait, c'était surtout ce que FINGERS évoquait pour Jacques. Le personnage de Keitel, cette sauvagerie permanente dans le film... Sinon, je n'ai pas voulu penser au film de Toback, une référence devient trop vite un handicap ; sauf un clin d'oeil, pour la scène de l'audition, où la lumière est très “à la manière de”...

PRÉPARATION
Pendant les premières rencontres avec Jacques, nos discussions étaient simples. Qui est Tom ? Qu'est-ce qui fait que l'on a envie de l'accompagner ? Qui sont ces gens avec qui il travaille ? Qui est ce père étouffant de présence et cette mère envahissante d'absence ? À ce moment-là, cela ne se posait pas en termes formels. En même temps, je ne pense pas que Jacques écrive sans avoir un projet esthétique. Il avait probablement des images en tête. Soit il m'a laissé découvrir le film tout seul, soit, plus certainement, il m'a amené dans une direction... Un réalisateur est autant un directeur d'acteurs qu'un directeur de techniciens. Problèmes techniques mis à part, la réparation sert à laisser le film venir à soi. À partir du moment où l'on est dans cet état d'esprit, prêt à l'accueillir, les choses se font naturellement pendant le tournage. Il faut arriver à une forme d'abandon.

CAMÉRA À L’ÉPAULE
Tout est filmé du point de vue de Tom, on ne s'y soustrait quasiment jamais. Sinon, et c'est immédiat, on sort du film qui est à la première personne du début à la fin. C'est toujours lié à cette histoire d'empathie avec Tom ! La caméra l'accompagne, en plans séquences, à l'épaule... mais de manière discrète. Elle doit devenir un complément organique du personnage, ressentir la même chose, vivre les mêmes événements, se trouver dans la même proximité avec les gens ou dans la même distance. Tourner à l'épaule n'est pas synonyme de fébrilité. En l'occurrence, cela a plutôt à voir avec la respiration des personnages. Dans la scène où ils sont dans le squat et où ils virent tout le monde, la caméra est nerveuse, parce c'est dans le point de vue de Tom. Mais dès que l'on passe sur lui, le plan est fixe. Aussi fixe que lui est concentré sur les scènes d'expulsions... Une manière de montrer qu'il s'éloigne de ses amis.

CLAUSTROPHOBIE
Quand on serre à l'épaule un seul personnage pendant tout le film, on court le risque de la claustrophobie. Si on étouffe le personnage, on étouffe le spectateur ! C'était essentiel de laisser Tom libre de ses mouvements, même si l'espace est souvent clos et les ambiances très denses. On était là, avec lui, sans distance. S'il tendait l'oreille, il devait entendre le bruit de la caméra, peut-être même celui de nos respirations. Je me suis extrêmement bien entendu avec Romain Duris. C'est très enthousiasmant de tourner avec un comédien aussi conscient de la caméra. Comme s'il composait le cadre... Ce serait intéressant de savoir à quel point il s'en doutait. Romain était toujours très concentré, toujours “très sur le motif” comme dirait Jacques.

OBSCURITÉ
Tom est très avenant, très aimable. Il peut jouer du piano dans un bar, sait être de bonne compagnie mais il ne se révèle pas. Il doit être acculé pour commencer à se révéler. Il n'est jamais aussi à l'aise que dans l'obscurité. Dans son appartement, il vit dans l'ombre même en plein jour. Ce qui était important pour moi, c'était de savoir jusqu'où je pouvais ne pas l'éclairer et dans quelles limites il supportait les images sombres. C'est beaucoup ça que raconte le film, tout ce temps mis par quelqu'un pour se révéler à soi-même. Pour moi il y a un plan clé : quand il sort de l'audition, il marche dans une rue qui est partagée entre ombre et lumière, avec un contraste très fort, très agressif. À la fin, quand la caméra arrive sur lui, il est en pleine lumière, ébloui par le soleil. Il vient d'échouer à son audition mais il a appris quelque chose. C'est un échec, mais il est devenu Tom.

APAISEMENT
L'endroit le plus lumineux et le plus apaisé du film, c'est l'appartement de Miao-Lin, où il prend ses cours de piano. Même s'il ne réussit pas toujours à jouer comme il l'entend, il y a moins de tensions, en tout cas en termes de lumière. Sauf “la première fois”, quand la négociation avec elle, dans l'obscurité d'un couloir, rappelle la transaction avec une prostituée. Il donne l'argent et elle lui montre le piano qui est dans sa chambre.

FILMER LES FEMMES
On s'identifie tellement au personnage de Tom que l'on suit, que l'on ne peut plus filmer autrement qu'à travers ses yeux. Du coup, c'est compliqué de filmer Aline/Aure ou Chris/Emmanuelle parce que Tom n'est pas à l'aise avec elles. On en revient toujours à son refus de s'impliquer dans une relation. À l'inverse, filmer Miao-Lin était évident. Tellement évident que personne n'est choqué qu'elle parle en vietnamien, qu'il lui réponde en français et qu'ils se comprennent parfaitement. Avec elle, il y a cet enjeu de l'audition, c'est purement fonctionnel. Mais de cours en cours, c'est le seul endroit où il se pose, où il souffle... Deux scènes dans la cuisine, quelques mots, un début de complicité...

FILMER LE CRIME
Il n'y a qu'au cinéma que l'on tue facilement. C'est extrêmement compliqué de tuer un homme, c'est tellement violent. Dans l'épilogue, quand Tom renonce à tuer Minskov, la caméra reste avec lui. Si elle revenait sur le visage de Romain, on serait dans l'observation du personnage, comme pour montrer au spectateur que Tom a compris quelque chose. Or la caméra n'est pas là pour donner ni d'indices, ni de leçons.

(extrait du dossier de presse)

Entretien avec Juliette Welfling, Monteuse du film "De battre mon coeur s'est arrêté"

Juliette Welfling a monté tous les films de Jacques Audiard. Elle a également, entre autres films, travaillé sur Bernie de Albert Dupontel, Déjà mort et Le Petit Poucet de Olivier Dahan, Une affaire de goût de Bernard Rapp, La Guerre à Paris de Yolande Zaubermann, Janis et John de Samuel Benchetrit, RRRrrrr !!!! de Alain Chabat....

CONSTRUCTION
J'ai monté tous les films de Jacques Audiard et je ne sais pas comment il se débrouille pour faire des films dont la construction est si compliquée à trouver. Dans DE BATTRE MON COEUR S'EST ARRÊTÉ, il y a peu de scènes, ce qui donne au récit un aspect de chronique. À part la mort du père ou la rencontre avec Minskov, aucune échéance n'imposait un ordre particulier. Du coup, certaines scènes devenaient quasi interchangeables, ce qui nous donnait une grande liberté de montage. Et c'est cette même liberté qui a rendu le montage si difficile.

DURÉE ET DISPROPORTION
Certaines scènes qui ne sont pas très importantes pour l'histoire du personnage, durent paradoxalement assez longtemps, tandis que d'autres, très courtes, la font vraiment avancer. Par exemple, la scène dans laquelle il drague la petite copine de Minskov, dans une cabine à la piscine, est une scène tournée quasiment en temps réel. Pourtant, cette fille n'a presque aucune importance dans la vie de Tom, contrairement à Aline dont il est amoureux, mais pour laquelle on avait peu de matériel... Un plan où il lui téléphone, un autre où il regarde ses jambes dans l'escalier, un autre où ils sont au lit. L'enjeu était alors de réussir la cohabitation de plans disproportionnés les uns par rapport aux autres et de faire que les personnages qui ont une importance dans sa vie en aient une pour nous aussi.

LE POINT DE VUE DE TOM
Tom est omniprésent, on s'est aperçu que les choses ne marchaient que de son point de vue à lui. Jacques, par exemple, avait tourné un plan montrant Chris hors du regard de Tom, nous n'avons jamais pu le monter, cela ne marchait pas. C'est comme si le film avait développé des anti-corps et rejetait tout ce qui n'était pas dans le regard du héros.

CONTINUITÉ PSYCHOLOGIQUE
Faire qu'il y ait une continuité psychologique, c'est ce qui se joue dans l'agencement des scènes les unes par rapport aux autres... Prenons l'exemple de la scène où Tom a un choc esthétique en regardant la silhouette d'Aline se découper en contre-jour dans l'encadrement d'une porte. Si juste après il y avait une scène où il était d'une humeur de chien chez sa prof de piano, cela ne fonctionnait pas. Ce personnage a une ligne psychologique. Au début, il ne pense qu'à son boulot, à son fric, à ses magouilles. Et puis, petit à petit, il va vers autre chose. Nous avons essayé de renforcer cette idée déjà omniprésente dans le scénario. Même si le montage c'est l'art du bidouillage et qu'on chamboule tout, le résultat à obtenir est que cela ressemble le plus possible au scénario. Tom devait absolument suivre un chemin, se transformer, grandir, devenir amoureux. C'est difficile de raconter le parcours d'un personnage unique ! Aura-t-il assez de ressources pour nous intéresser, nous surprendre, nous toucher durant une heure quarante-cinq ?

TOM, PIANISTE ET FILS DE SON PÈRE
Dans le scénario de départ, il y avait une scène de boîte de nuit dans laquelle Tom jouait une chanson d'Axel Red au piano. C'était la deuxième ou troisième séquence. Après de longues discussions, cette scène a été coupée... Aussi bien que soit cette scène, elle présentait un Tom déjà trop différent de ses acolytes, trop du côté de l'art, trop prédestiné... Alors que l'idée était plutôt de lui faire faire le chemin, de montrer ses doutes, ses progrès, ses accélérations. Si la situation de départ ne change pas, cela ne peut pas fonctionner : le piano devient une chose comme une autre. Quand il se met au piano, je crois que l'on est tout de même un peu surpris. Dans FINGERS, c'est vrai que Harvey Keitel est au piano dès le premier plan. Mais le personnage de Tom n'est pas si azimuté, si violent, son destin n'a rien à voir. Dans DE BATTRE MON COEUR S'EST ARRÊTÉ, c'est plus l'histoire des rapports d'un fils à son père. Le piano, pour Tom, c'est aussi un moyen. Ça lui permet de changer, de s'éloigner de son père et finalement de passer à l'âge adulte. DE BATTRE MON COEUR S'EST ARRÊTÉ raconte d'avantage l'histoire de ce fils et de ce père que l'histoire d'un malfrat qui veut réussir une audition.

(extrait du dossier de presse)



Le site officiel du film

La fiche IMDB

Un article de L'écran large

Un article du Nouvel Observateur

Un article de Fluctuat.net

Les photos

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