21 octobre 2006

Les quatre cents coups (5)

Les quatre cents coups, point de fuite et affranchissement

Truffaut ne nous raconte pas qu’une histoire, il l’insère dans un environnement social, humain, psychologique riche.

Il nous montre les lieux de plaisir :

  • cinéma où les gosses fauchent les photos des films,
  • cinéma où l’on va pour oublier les soucis et les tracas,
  • fêtes foraines où l’on va pour s’enivrer de sensations fortes).

















Il nous montre le temps des loisirs qui sont ceux de la circulation, du mouvement :

  • les rallyes, passe-temps favori du père,
  • les chemins de traverse d’Antoine qu’il emprunte seul ou avec René en faisant l’école buissonnière, qui devrait s’appeler en ce qui le concerne l’école de la rue,




























  • les rendez-vous de la mère dans la rue avec son amant.






Les loisirs, c’est donc essentiellement le mouvement comme le cinéma est l’art de l’image en mouvement.

Pour jouer un peu plus sur ce thème du mouvement, - est-ce voulu par Truffaut ? - dans l’opus suivant des aventures d’Antoine, le loisir préféré est celui qui consiste à s’abonner au mouvement des Jeunesses musicales pour écouter de la musique classique, où l’on parle aussi de mouvements, symphoniques ceux-là, en particulier ceux de la symphonie fantastique de Berlioz, comme est fantastique le cinéma.

Il nous montre les lieux de l'enfermement, les moments de punition, de corvée ou de souffrance:

  • l’école, le tableau noir et le coin pour les cancres d’une classe mal éclairée, mal chauffée, les planches géographiques, les dictées et les brimades, les mensonges,

























  • la corvée de poubelle






  • le vol de la machine à écrire et ses conséquences funestes








  • la prison











Truffaut nous montre surtout la manière qu’ont les hommes, les femmes et les enfants de se cacher ou de disparaître pour vivre leur vie.

Il me semble que c’est d’ailleurs là le thème principal du film.

Quels sont les différents moyens existants pour s’enfuir d’une réalité contrariante, être aux abonnés absents ?

Fuir plutôt que faire face et se confronter pour résoudre ses problèmes :

  • Le père fuit dans ses loisirs un travail visiblement alimentaire, il fuit les réalités en racontant des blagues éculées qui ne font rire que lui, il fuit ses responsabilités en refusant de voir Antoine glisser doucement mais sûrement dans le mensonge, il refuse de venir voir son fils au centre de mineurs délinquants. On a appris entre-temps qu’il n’est pas le «vrai» père d’Antoine. Là encore il a fui devant la vérité qui ne semble ici jamais bonne à dire, malheureusement. Symbole de l’absence du père que la leçon d’anglais dans le film pose sous forme de question « Where is the father ? »
  • La mère fuit le regard du fils et du mari. La seule chose qu’elle ne fuit pas semble être son regard sur elle-même, pas forcément bienveillant d’ailleurs.










Antoine fuit lui aussi la réalité désagréable. L’école, la maison ne sont pas chaleureux, il faut donc les quitter. Le centre d’observation sera lui aussi quitté, Antoine s’en échappera pour rejoindre la mer, cette mer qu’il ralliera en courant accompagné d’un superbe travelling sur la plage. Son dernier regard est pour nous, droit dans les yeux, il ne nous lâche pas puisque la dernière image est fixe. Est-ce le bout de la route pour Antoine ? Trouvera-t-il un lieu où se fixer comme cette image sur la pellicule ? Truffaut nous offrira une réponse, quelques années plus tard dans Antoine et Colette en nous apprenant par la voix off du début du film que son personnage a demandé son émancipation et travaille, enfin, comme un adulte à sa liberté.












Que signifie ce regard qui nous fixe ? Seul moment de contact réel, possible seulement avec les spectateurs?


Se cacher, s’échapper, fuguer, pour finir par disparaître semble donc la règle dans Les quatre cents coups.

Truffaut aimait à se réfugier dans les salles obscures depuis sa jeunesse. S’agissait-il de fuir une réalité semblable ?

« Le cinéma vaut mieux que la vie » disait-il en substance. Le cinéma pour s’oublier ? En tant que spectateur, peut-être, en tant que cinéaste, c’est le réel qui l’anime.

En fait, ce premier long-métrage sera pour lui comme une catharsis, l’occasion de se confronter à sa vie, un outil puissant pour enfin dire ce qui le taraudait tout en tenant à distance les sujets de son ressentiment.

Antoine de Baecque et Serge Toubiana ne nous disent pas autre chose dans leur « François Truffaut » paru chez Gallimard, lorsqu’ils évoquent les relations distendues avec ses parents après la sortie du film.

Pour des deux auteurs, le film porte «les traces de ces déchirements et d’un affranchissement douloureux. »

Dans Les quatre cents coups, Truffaut nous montre les dégâts causés par l’indifférence et l’incompréhension, les conséquences désastreuses des secrets de famille.

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